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  • Photo du rédacteurL'équipe de Clim'Adapt

Guinayangan : Un Climate Smart Village pilote au cœur des Philippines

Dernière mise à jour : 6 févr. 2020


Les défis imposés par le changement climatique font l’objet d’une attention particulière sur la municipalité de Guinayangan (provincede Quezon), Climate Smart Village (CSV) soutenu par l’International Institute of Rural Reconstruction (ou IIRR) en partenariat avec le gouvernement local. Ce village témoin, et surtout ses agriculteurs, doivent s’adapter à des températures plus élevées et prolongées au cours de la saison sèche, des précipitations excessives en saison des pluies. Ces phénomènes inhabituels qui deviennent fréquents diminuent les rendements des cultures sur la municipalité. Le Climate Smart Village se propose de trouver de multiples solutions et d’accompagner les éleveurs, maraichers et agriculteurs dans leur démarche de transformation nécessaire.


Guinayangan, une municipalité aux paysages variés orientée vers l’agriculture


Municipalité de Guinayangan, Quezon COMPREHENSIVE DEVELOPMENT PLAN 2017-2022

La municipalité de Guinayangan, grande de 22 798,60 hectares, est un melting-pot de milieux naturels : longeant la côte Est du golfe de Ragay, et cernée par des collines culminant à 322 mètres, les pentes y sont majoritairement entre 8 et 18% d’inclinaison. Nous sommes ici en milieu vallonné avec lequel il faudra composer pour les agriculteurs. Le sol calcaire est une contrainte supplémentaire en raison d’une irrigation difficilement applicable en saison sèche (de novembre à avril) et de la stagnation des eaux lors de la saison humide (de mai à octobre). [1]


Sur les 53 278 habitants recensés en 2016, 6000 étaient des agriculteurs. Ces 6000 agriculteurs sont dans l’ensemble très dépendants de deux cultures : la coco et le riz.



En effet depuis 50 ans la production majoritaire sur la municipalité est la production de copra vendue aux négociants, qui devient éventuellement de l’huile de coco à destination de l’exportation. Près de 15 000 hectares (65% de la surface totale) sont dévoués à cette production ce qui fait de Guinayangan l’un des plus gros producteurs de copra de la province de Quezon. Cette hégémonie, en quasi-mono culture de coco, est une faiblesse du milieu agricole de Guinayangan. De plus le grignotage des terres s’est fait aux dépends des milieux humides et forêts anciennes, riches en biodiversité et services écosystémiques.


Par ailleurs la production de riz, destinée cette fois-ci à la consommation directe, a connu en mars 2019 la promulgation d’une nouvelle loi sur la tarification du riz. [2] Cette loi remplace les quotas d’importations par des taxes à l’import ce qui a, en définitive, pour effet de diminuer la compétitivité des producteurs philippins. En effet, les coûts de production sont bien plus élevés aux Philippines que dans les autres pays membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE). [3]


Ces deux principales productions de part ces nouvelles fragilités représentent une faiblesse réelle planant sur les terres agricoles de la municipalité.



Utilisation des sols à Guinayangan, COMPREHENSIVE DEVELOPMENT PLAN 2017-2022

La suffisance alimentaire et économique menacée par le changement climatique



Ces terres agricoles, en plein milieu tropical humide, sont par ailleurs soumises à la nouvelle influence du changement climatique qui modifie et ainsi dégrade les conditions climatiques pour l’agriculture sur la municipalité. L’augmentation de la température ressentie depuis le début des années 2000, la baisse de la fréquence et du volume des pluies, et ce même en pleine période pluvieuse, ainsi que leur imprédictibilité, et enfin, l’aggravation de ces phénomènes par la propre aggravation d’El Nino augmentent les risques sur la productivité des terres et ainsi sur les suffisances alimentaires et économiques des populations. A titre d’exemple, là où il était possible de réaliser 2 récoltes de riz avant les années 2000, il n’est possible pour les agriculteurs rencontrés, de n’en faire qu’une de nos jours. De plus, depuis maintenant presque 2 ans, certaines cultures échouent à pousser sur certaines parcelles à cause du manque d’eau chronique.


Ainsi le projet déployé à Guinayangan essaye de répondre à ces attentes en proposant des alternatives résilientes au changement induits du climat.



Le Climate Smart-Village de Guinayangan inclut la population pour répondre à leurs besoins




Le Climate Smart Village de Guinayangan prend racine en 2010 grâce à la volonté première de l’IIRR. Le choix de Guinayangan ne fut pas hasardeux mais bien motivé selon des critères précis : diversité des agrosystèmes, des cultures et des milieux, classement économique moyen (sur l’échelle des municipalités Guinayangan se classe dans la 3ème catégorie sur 5, c’est-à-dire « financièrement limitées ») mais aussi la vulnérabilité quant aux typhons. En effet ces derniers sont récurrents dans la région, en cause les chaînes montagneuses dirigeant ces ouragans vers la municipalité.


La dernière composante, primordiale dans le choix effectué par l’IIRR, est la coopération entre les différentes strates des pouvoirs publiques : c’est-à-dire municipaux et régionaux. Il faut dire que le gouvernement local de Quezon est réputé progressif et que le travail en coopération avec les Organisations Non Gouvernementales (ONG) ne pose aucun souci.


Entretien au département d’agriculture de la municipalité de Guinayangan

L’IIRR et la municipalité de Guinayangan ont mis en place depuis 2010, dans le cadre du Climate Smart Village une équipe technique destinée au projet. Cette équipe est composée d’un département entier étant passé de 1 à 13 personnes pour la municipalité, et de quelques techniciens pour l’IIRR. Ces techniciens qui étaient au nombre de 12 à l’aube du projet, ont inculqué les techniques et les connaissances agricoles aux populations volontaires.


Ces bonnes pratiques agricoles sont dorénavant échangées lors de réunions mensuelles d’agriculteurs. En outre certains réalisent différentes expérimentations de terrain sur le riz par exemple. Enfin toutes ces données sont disponibles sur Internet grâce au FITS (Farmers Information and Technology Services) Center qui recueille les connaissances échangées. De ce fait l’agriculteur en quête de réponses peut ne pas attendre une aide extérieure et a la possibilité de la trouver aisément sur cette base d’informations.


En plus des moyens humains, l’IIRR a mis à disposition du matériel agricoles notamment aux premiers agriculteurs volontaires pour le projet. Ces premiers agriculteurs pouvaient ainsi servir de modèle pour leurs voisins, et par cette méthode étendre la sphère d’influence du Climate Smart Village. Le gouvernement national pris part à la mécanisation des fermes tout en apportant les connaissances pour utiliser ces machines grâce à un opérateur.


Enfin une ferme de démonstration ainsi qu’un Eco-parc ont été créés permettant d’apprendre aux agricultures les techniques de terrain lors des portes ouvertes. Ce sont des sites de démonstration pour l’élevage et l’agroforesterie.



Focus sur 2 agriculteurs rencontrés



Nous avons rencontré 2 agriculteurs différents sur l’ensemble de la municipalité de Guinayangan, l’un était éleveur de cochons rustiques, l’autre était productrice de coco, de légumes et de riz.


L’éleveur porcin :


Eleveur et descendant d’éleveur, l’homme rencontré est un témoin clef des évolutions qu’a pu connaître le paysage de l’élevage dans la municipalité de Guinayangan. L’introduction du cochon domestique blanc en 1990 aux Philippines a été un tournant pour les élevages porcins. L’espèce rustique noire fut remplacée par l’espèce blanche, plus productive (là où la race rustique atteint sa masse finale en 8 mois, le cochon domestique n’en a besoin que de 4).


Rencontre avec les éleveurs porcins

Cependant cette espèce domestique blanche ne sut pas s’adapter aux montées de températures et à la diminution de la disponibilité en eau. De plus ces cochons nécessitent l’usage d’intrants médicamenteux car ils sont non-adaptés aux maladies du milieu et plus fragiles de constitution mais aussi l’introduction d’une nourriture riche indisponible localement sur l’exploitation.


L’apport en 2014 des premiers cochons rustiques sur l’exploitation par l’IIRR ainsi que de fonds pour la construction des bâtiments d’élevage a permis à l’agriculteur de revenir à cette race rustique plus adaptée et moins coûteuse. En effet le cochon noir ne nécessite aucun intrant car toute la nourriture provient directement de l’exploitation avec un mix énergétique apporté par les feuilles de Trichantera (riche en protéine) du son de riz, du copra et du taro. Cinq ans après la réintroduction de l’espèce, l’agriculteur dispose de 3 femelles et 1 mâle, donnant naissance à 19 porcelets par an. Ce cheptel est entièrement nourri avec 1,5 hectares de terres qui leur sont dédiés.


Cette race est donc nettement préférée car les agriculteurs ont « beaucoup de temps mais pas beaucoup d’argent », ils peuvent donc s’occuper de cette race rustique qui nécessite plus d’entretiens, mais n’auraient pas les moyens d’acheter des intrants. De plus la viande du cochon noir trouve son marché puisque celle-ci est préférée pour se faire rôtir grâce à un gras peu épais et à son goût. Le prix à la vente est sensiblement le même que pour le cochon domestique, à savoir 230 pesos par kg de viande, l’argument n’est donc pas à la vente (d’autant plus que le rendement est plus faible), mais bien en amont. Le cochon est sélectionné pour son goût grâce à des tests sensoriels afin d’améliorer les capacités organoleptiques. D’autres expériences sur les rations apportées aux cochons sont réalisées par les agriculteurs eux-mêmes et des réunions mensuelles sont organisées pour échanger les bonnes pratiques et partager sur les défis rencontrés.

Enfin, la diversité génétique est assurée par un échange de cochons entre agriculteurs supervisé par le National Program for Pig Genetics.


A date, la municipalité compte 196 éleveurs de cochons rustiques. Sur le barangay visité, 50% des éleveurs avaient préféré revenir à l’élevage de ces cochons, parfois au sein d’élevage mixte cochon rustique/cochon domestique. Ce succès tend à s’étendre à tous les barangays.


L’agricultrice en polyculture :


Au sein du Barangay de San Pedro l’agricultrice rencontrée est propriétaire avec son mari d’un lopin de 2,5 ha. Installés depuis 2008 depuis la reprise de la ferme familiale de l’épouse, les cultures ancestrales sur l’exploitation étaient le riz, la coco et le maïs.


Cependant les sécheresses rendent le travail du riz de plus en plus difficile et c’est avec l’aide et l’appui de l’IIRR depuis 2010 que le couple est passé à un système de polyculture incluant de l’agroforesterie. En effet, la source d’eau proche de l’exploitation se tarit d’année en année, signe d’une désertification du milieu. La modification des pratiques culturales demande plus de travail, car multiplie les opérations, en revanche cela permet une diversification des revenus qui est salutaire. A la date où nous avons visité son exploitation, le couple continue de faire pousser du riz mais sa part à fortement diminué. Les nouvelles cultures introduites sont des citrons, des haricots mungo, des fruit du jacquier des tomates, de la margose, des cacahuètes, du maïs, du gombo, du café, du cacao, du corossol, des mangues, des rambutans, des haricots kilomètres, des bananes et des aubergines.


L’agroforesterie permet d’utiliser efficacement les espaces inutilisés de l’exploitation. Ainsi c’est entre les cocotiers que sont plantés en partie les nouveaux plants.


L’agricultrice rencontrée devant son champ en polyculture

En plus de ces nouvelles cultures, le couple d’agriculteur a reçu des aides de la municipalité pour l’installation de chèvres rustiques sur l’exploitation. En période représentative, le cheptel s’élève à 15 têtes complété d’une douzaine de cochons. Les effluents de ces bêtes sont utilisés comme fertilisant pour les nouvelles cultures légumières et fruitières. Ils sont complétés par des intrants prêtés par le gouvernement local.


Nous l’avons vu, économiquement cette solution est pérenne et résiliente car les récoltes sont multipliées. Les revenus ne sont plus seulement dépendants de la coco, qui était leur principale source de revenus. De plus le gouvernement local soutient l’exploitation ainsi que les autres fermes (300 fermiers font partie du projet sur la municipalité entière de Guinayangan) du projet grâce à une aide à la vente mais aussi une aide à l’augmentation du prix de vente. De plus sur l’exploitation, la famille est auto-suffisante en légumes et en viande, cela diminue donc les coûts. Enfin la diminution drastique du grammage de fertilisants commerciaux utilisés, passés de 200 kg par an à 30 kg par an grâce en partie à un nouveau système de microdosage, à des cultures moins demandeuses en fertilisants et à la présence du cheptel, producteur naturel de fertilisants.



Un projet qui voit loin



L’IIRR prévoit de rester présent dans ce projet tout en laissant une part de plus en plus importante depuis le début du Climate Smart Village aux actions et équipes de la municipalité ainsi qu’aux initiatives des agriculteurs. Ainsi l’IIRR apportera toujours son savoir et ses connaissances mais compte sur les paysans eux-mêmes pour communiquer les leurs aux autres agriculteurs de Guinayangan souhaitant changer leurs pratiques pour en adopter des plus résilientes face au climat.


Conclusion :


Le CSV de Guinayangan est un exemple de vision intégrée de toutes les strates de population pour s’adapter au changement climatique. Gouvernement national, gouvernement local, ONG, et agriculteurs y travaillent main dans la main. Cette coopération débouche sur un projet complet et intégrant le maximum d’agriculteurs le souhaitant grâce à des aides au lancement tant matérielles qu’intellectuelles.


Face au dérèglement du climat les méthodes enseignées et adoptées tendent à rendre résilientes les exploitations, tant environnementalement qu’économiquement. Ainsi nous pouvons constater une multiplication des activités au sein d’une même exploitation, assurant une diversité des revenus et une dépendance moins forte à l’une de ces activités (la production de copra en l’occurrence), mais aussi le retour à des races rustiques, naturellement adaptées au climat philippin et donc plus sujet à résister que des espèces génériques.


Notre avis :


Nous avons été impressionnés par la qualité des travaux et des moyens mis en œuvre par l’IIRR et les instances publiques au sein de la municipalité de Guinayangan. Il est difficile de ne pas saluer et féliciter le sérieux et la justesse des pratiques instaurées pour s’adapter au changement climatique ainsi que le travail effectué depuis 2010. Nous pensons sincèrement que ce Climate Smart Village peut être un modèle, un exemple qui pourra être réplicable ailleurs. Bien sûr ce village comporte ses spécificités et il faudra réaliser un travail d’appropriation des bonnes pratiques à replacer dans de nouveaux contextes aussi différents que spécifiques.


Sources :







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