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  • Photo du rédacteurL'équipe de Clim'Adapt

Le combat contre l’érosion côtière dans la baie de Bangkok

Les côtes thaïlandaises parcourent 2800 kilomètres et sont soumises à une érosion féroce qui s’accentue et préoccupe autorités thaïlandaises, populations et scientifiques. Sur ces 2800 kms, près de 30% sont en danger critique perdant plus de 5 mètres de côte par an. [1] Le golfe de Thaïlande est particulièrement touché, en démontre le triste symbole du Wat Samut Chin, encerclé par les flots en quelques dizaines d’années et dont le plancher a dû être surélevé déjà plusieurs fois comme l’atteste la petitesse des portes d’entrée. Les différents acteurs s’engagent dans ce combat difficile avec un déploiement d’initiatives qui tente de résorber les dégâts sur la commune.


Le Wat Samut Chin, témoin malgré lui de l’érosion côtière en Thaïande


Nous ne sommes qu’à quelques dizaines de kilomètres au Sud de Bangkok, au Nord du Golfe de Thaïlande dans la province de Samut Pra Kan. Ce terrain plat côtier de vasière est tourné vers une agriculture familiale et paysanne. Ici c’est l’aquaculture qui prime pour les 70 familles composant le village, mais cela n’a pas toujours était le cas. Auparavant le riz et le maïs ainsi que la culture de sel remplaçaient les étangs de crevettes, de poissons et de Tegillarca Granosa [2], une coque.


Ce changement de paradigme rentre en cause dans les effets intenses de l’érosion côtière sur le littoral. En effet pour installer ces aquacultures plus lucratives, les habitants ont enlevé une mangrove qui leur paraissait problématique mais qui en fait les protégeait de l’assaut des vagues. Or, en pleine zone tropicale, ces intempéries sont courantes entre mai et octobre, c’est-à-dire durant la saison de mousson.


Associé à ce changement, et aggravant encore un peu plus la situation, la construction de barrages en amont du village, sur le bassin versant de Bangkok, a privé les côtes de 70% de l’apport en sédiments [3] qui limitait l’érosion. Enfin ultime et dernière composante, l’élévation du niveau de la mer - le niveau de 42 millimètres par an au niveau du Golfe de Thaïlande dans les années 2000 [3] - assure un grignotage lent mais régulier sur des espaces côtiers bas et désespérément plat. Ainsi la mauvaise gestion du milieu par l’homme complétée à l’intensification des phénomènes climatiques côtiers ainsi qu’à l’élévation du niveau de la mer ont provoqué une érosion côtière parmi les plus intenses de la Thaïlande.


Photo 1 : Destruction d’une habitation due à l’érosion Inner Gulf of Thailand Conservation Network, the Thai Network for Disaster Management-2_12308.pdf
Photo 1 : Destruction d’une habitation due à l’érosion - Inner Gulf of Thailand Conservation Network, the Thai Network for Disaster Management-2_12308.pdf

L’érosion, contrôlable avant 1985, s’était emballée ces 20 dernières années jusqu’à atteindre des seuils au-delà d’inquiétant. Avec plus de 35 mètres par an de pertes de terre [1] – alors qu’à partir d’une perte de 5 mètres, l’érosion est catégorisée comme critique – Khun Samut Chin a perdu 2 kilomètres de terres en une cinquantaine d’année obligeant les populations à abandonner leurs maisons mises en péril par les flots (Photo 1). Certains ont dû déménager plus de 7 fois, l’école a été relocalisée à l’intérieur des terres de l’autre côté du temple qui lui, se retrouve maintenant solitaire au milieu de la mer loin derrière la ligne de côte où se trouve les bassins d’aquaculture (Photo 2).

Le témoin de ce recul sont les quelques poteaux électriques perdus en mer, témoins actuels d’une activité humaine terrestre passée sur ces endroits maintenant maritimes. Cette situation intenable, pour une partie des habitants, explique le départ de 70% de ceux-ci – c’est-à-dire 130 familles – entre 1974 et aujourd’hui.



L’arrivée de la fondation Chum Chon Thaï lance ce qui sera le projet d’adaptation au changement climatique.


A la fin des années 1990, la fondation Chum Chon Thaï s’intéresse au problème empoisonnant la vie de ce village. Ses premières actions seront de rassembler les populations, de les sensibiliser au danger de l’érosion, de créer un comité de gestion des côtes et enfin d’établir un réseau entre tous. En parallèle, l’aquaculture devenant quasi-obligatoire à cause du grignotage des parcelles agricoles, la fondation transmet les connaissances nécessaires à ces élevages.



Photo 3 : Un carré d’aquaculture au sein d’un bassin ouvert sur la mer - Prise lors de notre visite sur les lieux

Après la construction des réseaux humains, la phase de mise en place des méthodes d’atténuation de l’érosion commence en 2003. C’est la plantation de bambous en ligne droite suivant la côte qui est choisi. Ces bambous cassent les vagues et limitent ainsi leur impact sur la côte tout en laissant la place à la vie marine de s’engouffrer entre les tiges. Les bambous sont particuliers, ils proviennent du Myanmar où les bambous sont larges et donc résistants à l’assaut des vagues.


Photo 4 : Au premier plan la ligne de pylones de béton / Au second plan dans la diagonale, la barrière de barrière bambous - Photo prise lors de notre visite sur les lieux


Plus résistant, et surtout avec une espérance de vie beaucoup plus longue que celle des bambous – 50 ans contre 2 voire 3 ans pour les bambous– de véritables pylônes de béton ont été disposés autour du temple. Cependant le transport de ces éléments depuis la province d’Ayutthaya, indéfiniment plus lourds que les bambous, coûte beaucoup plus cher. Le gouvernement a donc renoncé à les placer tout le long de la côte, bien que ces derniers soient préférés par la population locale pour leur longévité.


Outre l’atténuation de l’érosion, l’objectif est de capter les sédiments pour réensabler le littoral. Ce sont des rochers, directement associés aux bambous, car mis à leurs pieds, qui jouent le mieux ce rôle. Ces granites proviennent des provinces de Thaïlande à 200 km du rivage. Le transport se fait par bateau.


Lors de notre passage, la communauté se concentrait sur le déploiement de ces rochers tout le long de la ligne de côte où sont déjà plantés les bambous. Mais cette installation coûte cher. Pour l’installation d’1 km de long, le coût pour le gouvernement Thaïlandais est de 20 millions de baths (environ 580 000 €). En revanche la communauté peut elle-même mettre en place ces rochers si elle a les fonds nécessaires et ce qui ne lui revient qu’à 5 millions de baths (environ 145 000 €), à savoir 4 fois moins que pour le gouvernement. La raison ? L’état emploie des entreprises privées alors que la commune fait participer la communauté bénévole.


Les fonds de la commune proviennent à 80% du tourisme, un tourisme de conservation, qui s’est développé ces dernières années. Ce tourisme est destiné à une clientèle thaïe. La famille hébergeante, reverse une partie de ses revenus au Toursim Found de la commune à hauteur de 50 baths sur les 600 payés par nuit. Le Tourism Found est ensuite utilisé pour développer la communauté. Avec 100 000 touristes par an, dont la moitié – qui ne sont ni étudiants ni provenant d’ONG – payent leur nuit, ce sont près de 5 millions de baths qui vont chaque année dans les caisses du village.



Photo 5 : Installation au cœur de la municipalité - Photo prise lors de notre visite sur les lieux

L’érosion, endiguée, reste un défi pour les habitants


Depuis 2003, ce sont 160 000 m² de terre qui ont été resédimentées et donc regagnées sur la mer. Ces terres sont le lieu de plantations de mangrove, protection naturelle efficace contre l’érosion qui menace toujours le littoral Thaïlandais.


Les villageois gèrent maintenant pratiquement en autonomie ce projet avec une présence moins forte de la fondation Chum Chon Thaï qui n’est plus qu’un support technique, mais avec l’arrivée tout de même de l’ONG Action Aid formant les habitants depuis 2018 à la gestion de la communauté. Le Comité de villageois, composé de 10 personnes, se réunit officiellement 1 fois par mois mais ils sont amenés à se retrouver plus souvent, et assure la bonne gestion et la pérennité de ce projet. Symbole de la gestion du projet par les habitants eux-mêmes, ils ont refusé la technique avancée par le gouvernement thaïlandais après avoir aperçu l’échec de cette technique dans un village voisin, celui de Bang Pu. Les sacs de sable pour former des digues n’ont en effet qu’un effet très limité sur l’érosion côtière.


Les infrastructures n’étant pas immortelles, un entretien est nécessaire surtout au niveau des bambous dont l’espérance de vie est faible. La tempête locale appelée Mon Soon, peu violente, mais ayant lieu chaque année fragilise les tiges de bambou encore un peu plus. Le suivi du projet est donc continuel.


Au niveau financier, l’érosion des côtes a été un poids pour les habitants qui malgré le projet et l’essor du tourisme, ont vu leur revenu diminuer.


Conclusion


Intervenant sur une zone forte de sens et démontrant l’ampleur de l’érosion côtière, ce projet a su endiguer l’érosion côtière sur les parcelles de terre choisies. La très bonne intégration des locaux au cœur des décisions et de l’entretien annuel nécessaire, aidée par la fondation Chun Chom Thaï et l’ONG Action Aid et avec l’appui des pouvoirs publics thaïlandais dont un employé supervise le projet, assure la pérennité du projet. S’étalant sur une période de plus de 20 ans, le projet est loin d’être fini avant que toute la ligne de côte soumise à l’érosion soit protégée.


Un élément important pouvant accélérer la résolution du problème dans la baie de Thaïlande mais aussi sur toutes les zones concernées pourrait se débloquer. L’érosion n’est aujourd’hui en 2019 pas considérée comme un désastre naturel par les autorités thaïlandaises dans un contexte où pourtant Bangkok a été classée septième sur les 136 villes du monde les plus menacées par les inondations côtières d'ici soixante-dix ans en 2007 par l’OCDE (l'Organisation pour la coopération et de développement économique) [4]. Le village ne peut donc pas bénéficier des fonds alloués contre les désastres naturels. Le comité essaye de faire changer la loi à ce propos en se servant de son exemple, un exemple très médiatique grâce à son temple.


Notre avis


L’accès au cœur du village est difficile et se fait par un chemin goudronné ne laissant passer qu’une voiture puis à pieds, à même les digues. Le chemin d’accès était annonciateur des chamboulements connus par ce village. Nous avons été surpris de constater l’ampleur des dégâts provoqués par l’érosion côtière mais impressionnés par les moyens déployés dans ce petit village pour sauver leurs terres. Le gestionnaire, faisant partie du comité local, qui nous a expliqué les tenants et aboutissants du projet, montrait une connaissance accrue et une gestion réfléchie des méthodes proposées. Avec l’engouement international pour ce temple entouré par la mer, nous sommes certains de l’avenir radieux pour le village même si nous ne pouvons pas en dire autant pour le reste des côtes thaïlandaises qui ne sont pas bénéficiaires d’un projet d’adaptation.


Sources :


[2] Struggling against the Sea in Ban Khun Samut Chin: Environmental Knowledge, Community Identity and Livelihood Strategies in a Village Fighting Severe Coastal Erosion on the Gulf of Thailand




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