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  • Photo du rédacteurL'équipe de Clim'Adapt

La gestion intégrée des risques sur une île exposée aux déficits hydriques

Une île coralienne aux multiples défis


Guintacan, aussi appelée Kinatarkan, est une petite île de 13,34 km² située à 25 km au nord-ouest de l’île de Cebu dans le centre des Philippines. Sa forme elliptique mesure 5 km de long sur 2 km de large, orienté Nord-Sud. Trois barangays (communes) la composent. Elle fait

partie de la municipalité de Santa Fe, qui se présente sous la forme d’une municipalité-archipel. Pour les 8905 habitants de l’île (recensement 2017), rejoindre la terre principale de

Cebu se fait uniquement grâce à des embarcations de pêcheurs motorisées qui font un aller-retour chacune pendant la journée. De plus par temps agité, il est carrément impossible de traverser. C’est dire l’enclavement certain dans lequel se trouve cette population, stable depuis plusieurs années. L’île est un récif corallien à la topographie peu accidentée dont les collines s’élèvent jusqu’à 50 m au-dessus du niveau de la mer avec une altitude moyenne de 30 m. Du fait de sa nature géologique, l’île possède une hydrographie pauvre et les ressources principales en eau sont les pluies et une source souterraine située sur le barangay de Hagdan au nord de l’île, qui est légèrement salée et non potable. De plus, en raison de prélèvements trop importants et de la présence de puits forés, cette dernière voit sa teneur en sel augmenter. Les agriculteurs cultivent 335,5 ha de terres soit environ 25% de la surface totale de l’île



Des activités économiques très dépendantes des conditions climatiques


Le climat est de type tropical humide, ainsi la saison sèche s’étend de mars à mai, et de juin à février règne la saison humide. C’est lors de la première que les habitants de l’île en particulier les agriculteurs, souffrent le plus des conditions climatiques auquel se superpose l’effet drainant de la roche calcaire. Les principales activités économiques de l’île sont justement l’agriculture, avec une répartition genrée entre les hommes pêcheurs et les femmes cultivatrices. Certains hommes exercent aussi le travail de chauffeur de motos, seuls véhicules de l’île. L’agriculture est essentiellement pluviale, axée sur des cultures associées ou en polyculture comme le manioc, les haricots mungos, les tomates et le maïs en saison humide. La population ne se trouve pas en suffisance alimentaire malgré toutes ces cultures orientées pour l’autoconsommation, en particulier pour ce qui concerne l’eau, importée en complément depuis l’île principale de Cebu.


Exemples de collecteurs d'eau de pluie indigènes appelés "tadyao" sur l'île de Kinatarkan

Il existe une recherche de valeur ajoutée pour certains produits comme la poudre de manioc, produite par les producteurs eux-mêmes et qui sert à fabriquer un féculent cuit à la vapeur. Un quart des habitants bénéficie d’une eau potable au robinet. Ainsi des réserves pluviales communes existent entre les habitants. Le raccord au réseau coûte 7000 pesos à la charge des foyers (117 €) et payés au pouvoir public. 20 m3 d’eau coûtent 160 pesos (2,5 €). L’eau importée en bidons depuis Cebu coûte 2630 pesos le m3, soit près de 300 fois plus cher… Mais sans investissements. Les agriculteurs exploitent ces terres depuis plus de cent ans, mais n’en sont pas propriétaires. Ceux-ci sont de riches habitants de l’île de Cebu qui peuvent en théorie les expulser à tout moment. Cependant le gouvernement local de Santa Fe a régularisé en partie leur activité par la délivrance de déclarations d’usufruit. Il s’opposera de plus aux expropriations. Les agriculteurs paient une taxe directement à l’Etat et non aux propriétaires. L’île est soumise aux variations climatiques pluriannuelles d’El Nino, qui semblent s’aggraver de cycle en cycle. Cette année des décès sont même survenus à cause de l’inédite vague de chaleur.



L’élément déclencheur de Hayan et le début de la coopération entre les acteurs



C’est après le typhon Hayan de 2013, que Guintacan sort peu à peu de l’indifférence latente en matière de développement. Pour repère, les habitants ne bénéficiaient pas de l’électricité permanente avant la catastrophe, et une part non négligeable des revenus des habitants reposait sur les aides gouvernementales sur critères sociaux. Cette île fait partie de la région tristement célèbre des Visayas, la partie la plus sévèrement touchée des Philippines par cette catastrophe. Sur demande de l’autorité de Cebu, une aide humanitaire se mobilise tous azimuts pour secourir cette île par des approches centrées sur l’alimentation, l’eau, la scolarité ou encore l’habitat. C’est à ce moment que la Catholic Organization for Relief and Development Aid, Cordaid, en collaboration avec le Bureau de gestion et de réduction des risques de catastrophe de la province de Cebu (PDRRMO) et l'Unité de relèvement et de réhabilitation de l'archidiocèse de Cebu (ACRRU), commence son action sur l’île de Guintacan. Cette organisation est spécialisée dans la gestion intégrée des risques (integrated risk managment), dont la résilience est un pilier majeur. La GIR est la combinaison d'interventions de réduction des risques de catastrophe (RRC), d'adaptation aux changements climatiques (ACC) et de gestion et de restauration environnementales (GRE), en les intégrant pour aider à réduire les risques. Les aides internationales ainsi que l’assistance locale ont mis en lumière les problèmes de développement de cette île et sa fragilité face au changement climatique, qui était déjà observée par les populations locales. Le problème majeur de l’accès à l’eau potable touche ainsi toute la population dans des proportions différentes selon le métier, le niveau de richesse et l’accès aux infrastructures des habitants. Le gouvernement local (LGU) de Santa Fe a mis en place un plan de gestion de l’eau en 2015, afin de rendre publique cette gestion sur la commune d’Hagdan qui possède la réserve souterraine.

4 représentantes d’agricultrices volontaires et Chris Estallo

En 2017, Cordaid a lancé un projet de deux ans dans l'île - le projet Kinatarkan Resiliency in Action ou IRM (Integrated Risk Management) Kinatarcan Island Project. Ce projet a été mis en œuvre en partenariat avec le gouvernement provincial de Cebu par l'intermédiaire du Bureau provincial de réduction et de gestion des risques de catastrophe (PDRRMO), l'Unité des collectivités locales (LGU) de Sta Fe, les 3 LGU de Barangay Langub, Kinatarkan/Bitoon et Hagdan, et l'Archidiocèse de Cebu - Rehabilitation and Recovery Unit (ACRRU) avec le financement de Caritas Singapour et Cordaid aux Pays-Bas (Fonds MIN/privés Cordaid). Le projet vise à aider 300 familles de l'île de Kinatarkan à s'engager dans des moyens de subsistance durables et résilients, y compris l'agriculture diversifiée grâce à la technologie des terres agricoles en pente.


Six à dix volontaires issus de la population prennent part aux discussions autour de sa mise en place. Du fait, les personnes les plus touchées s’investissent d’autant plus et permettent de rendre audible les habitants les plus vulnérables. Ainsi des associations d'agriculteurs, de pêcheurs et de maraîchers se réunissent régulièrement pour échanger sur leurs pratiques et discuter des solutions mises en place à propos de la gestion de l’eau. Cordaid a investi à hauteur de 103 507 € en 2017 pour la mise en place du projet, et accorde environ 10 000 € par an depuis pour le suivi du projet. Le LGU fournit quant à lui des moyens humains, du matériel gratuit, une expertise technique, un accès à des infrastructures, une aide dans le suivi et un soutien sur le plan juridique. Le responsable actuel du projet est Chris Estallo de Cordaid, qui a prévu un plan d’action jusqu’en 2020 renouvelable. Cependant la responsabilité décisionnelle et financière est assurée par la collaboration intelligente entre Cordaid, le LGU et les autres parties prenantes. La collaboration n’ayant pas de fin effective, nous pouvons dire que celle-ci est sécurisée pour le moment. De plus, le département du gouvernement local dédié au tourisme prévoit un développement de l’éco-tourisme, par opposition au tourisme balnéaire. Il prévoit des cours d’anglais pour la population ce qui est en parfait accord avec leur souhait de promouvoir internationalement leur adaptation et de préserver leur île.



Une adaptation basée sur des méthodes résilientes sur plusieurs problématiques



Le projet porte donc essentiellement sur des aspects critiques liés à la gestion de l’eau. Un des objectifs est de limiter le pompage des eaux souterraines en démocratisant les techniques de récupération des eaux pluviales pour l’alimentation par exemple, car celles-ci se salinise. L’eau salée est plutôt utilisée pour la vaisselle et le nettoyage. Enfin des réservoirs pluviaux communs sont désormais gérés par les habitants eux-mêmes afin de limiter le gaspillage de chacun. Pour l’agriculture les techniques de cultures associées ou en polyculture ont permis de multiplier les récoltes. Le manioc a été promu en tant que culture adaptée aux milieux secs. Celle-ci permet en effet deux récoltes par an (dont la saison sèche), et peut résister jusqu’à trois à cinq mois sans pluies, certes non sans diminution de rendement. D’autres techniques ont été développées comme une irrigation en terrasses économe en eau pour le manioc mais celle-ci est trop récente pour pouvoir prendre du recul sur son impact. L’introduction générale de légumineuses a permis de limiter le risque lié à la fertilité des sols pour la culture consommatrice qu’est le manioc. Concernant d’autres aspects du changement climatique, Cordaid a effectué beaucoup de recherches grâce à sa méthode « Integrated Risk Managment ». Grâce aux données nationales, une transmission de connaissances sur les phénomènes climatiques à venir a pu être effectuée.


Source commune d'eau

Toute la population de l’île de Kinatarkan est donc concernée par le projet, que ce soit pour l’approvisionnement domestique ou pour des pratiques agricoles diverses. Les agriculteurs et agricultrices comprennent l’importance de certaines pratiques agroécologiques et apprennent au fur et à mesure les principes scientifiques sous-jacents au travers d’échanges avec Cordaid notamment. Ce projet augmente la sécurité alimentaire et réduit la pauvreté des habitants car ils se trouvent moins dépendants de certaines importations en eau et en aliments. En ce qui concerne les investissements ils sont entièrement portés par le gouvernement local et Cordaid.


La rencontre avec différents acteurs impliqués dans le projet a été très riche pour nous. Nous avons pu assister à une réunion entre les représentants des agriculteurs et Cordaid, visiter des champs en pleine saison sèche afin de nous rendre compte des difficultés rencontrées et enfin discuter avec Cordaid de leurs actions et de l’évolution attendue du projet. Ainsi de notre point de vue, Cordaid apparaît comme un partenaire précieux autant pour les agriculteurs de par leur rigueur scientifique et leurs techniques de gestion de projet, mais aussi pour le gouvernement local de par son expérience et par les fonds qu’ils apportent. Les habitants semblent vraiment volontaires et conscients de l’enjeu. Leurs pratiques apparaissent suffisantes face aux stress hydriques accentués de certaines années, mais pourraient se révéler insuffisantes en cas de sécheresse majeure… Ce projet apparaît réplicable sur toutes les îles coralliennes. De plus les pratiques de récupération des eaux de pluie peuvent être généralisées à toutes le zones en état de stress hydrique.




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